Pour changer des « exclus » en ce vendredi 16 août, un « extrait » des « Visages de Dieu » la toute première Chronique barbare. Attention, âmes sensibles s’abstenir !
Pleurer de bonheur devant la beauté de l’oeuvre
 accomplie. Pleurer et bander, arroser de larmes et
 de foutre, lacrimæ Christi, tous ces beaux visages
 d’icônes. On m’appelle le Maquilleur, mais je suis
 tellement plus. Plusieurs… Même pas vieux, ni même
 jeune, immortel !
 Dans la pièce dérobée qu’il a aménagée à l’abri des
 regards, le meurtrier se déshabille lentement avec le
 recueillement d’un homme d’Église retirant, après la
 messe, étole, camail, amict, manipule et cappa magna.
 Je suis celui qui pourvoit à la douleur. De la mort,
 le grand nettoyeur. Polluée de péchés, contaminée
 d’hommes, notre Terre est exsangue, et moi, je la
 laverai à grands coups de langue…
 Le tueur pénètre lentement dans la salle de bains
 en faïence rouge. Sa chapelle secrète recouverte de 9,
 écrits à l’encre blanche…
 Je procède à la récolte des visages. Pêcheur de
 perles, je vais au fond des autres pour en ramener,
 de Dieu, les yeux, la bouche, les joues et les cheveux.
 En apnée, j’entre dans leur caverne de chair. J’y
 arrache serpents et cordages, le vice et les viscères…
 Tout à ses pensées, le Maquilleur remplit sa baignoire
 du sang recueilli sur sa dernière victime. Et,
 comme toujours, il lui apparaît plus rouge, plus lumineux.
 Dans ce liquide magique, des millions de cellules
 vivent encore, porteuses du patrimoine génétique de la
 dernière élue, parcelle de l’image divine. En attendant,
 il reprend son poème chiffré. Sa plume crisse en écrivant
 les vers numéros 832, 833, 834 et 835… Il pose
 un grand buvard bleu dessus. L’encre est aspirée… Il
 se récite alors quelques phrases du Pèlerin de l’absolu :
 Je savoure des épithètes homicides et des métaphores
 assommantes… J’invente des catachrèses qui
 empalent, des litotes qui écorchent vives, des périphrases
 qui émasculent et des hyperboles de plomb
 fondu.
 Le meurtrier fait couler quelques litres d’eau chaude
 afin de porter le mélange aux trente- sept degrés requis
 par la cérémonie. Puis il se glisse dans le corps liquide
 de l’actrice. Son érection est douloureuse.
 Dieu, je te devine ! Tout là- haut, au- delà de nos
 Babel de briques où, faute de nous panser, tu nous
 penses. Bientôt, je te dévisagerai, je le sais. Et je
 saurai…
 Il rejette la tête en arrière afin de s’immerger totalement.
 Puis il reste ainsi en apnée sous la surface du
 petit lac rouge… Trente secondes s’écoulent… Après
 les derniers clapotis, le silence s’installe dans cette
 partie secrète de l’appartement. À l’abri de maman, le
 grand « même pas » a disparu dans le sang.
 Surtout, il ne faut pas que la mort soit douce !
 Dehors des rires d’enfants s’envolent dans le ciel.
 Crissement, bruit de pneu, une bicyclette freine devant
 la petite boulangerie où l’on vend des sablés aux fruits.

