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Ulysse et Alice !

Premier chapitre de mon roman « FeelGood » (terminé)

Chapitre I
« Le Jeu des indifférences »

Trouver l’âme sœur est une gageure. La fourmilière est vaste et le temps qui nous est imparti, restreint. Inutile de le nier, cette mission préalable à la reproduction constitue l’un des plus grands motifs de stress parmi l’immense collection de contrariétés qui nous est offerte dès qu’on a l’âge d’en profiter. La bienheureuse minorité qui réussit ce prodige n’y parvient qu’en s’appuyant sur la loi de l’exception qui confirme la règle et sur des forces obscures, comme celles faisant tomber, une fois sur dix, la tartine beurrée du bon côté.
Rien, hormis peut-être l’assonance de leur prénom, ne prédestinait Alice et Ulysse à se rencontrer, à tomber amoureux et à finir par convoler en juste noce. Bien loin d’un simple hasard, cette rencontre fut de l’ordre du miracle. L’un de ces miracles de l’amour éternel dont les somptueuses esperluettes ponctuent avec parcimonie l’histoire des hommes : Tristan & Iseult, Sanson & Dalila, Roméo & Juliette, Tintin & Milou…

Alice était née au cœur de Paris dans un bel immeuble haussmannien appartenant à sa famille depuis moult générations. Ses parents, comme ses grands-parents et, avant eux, les vieux gâteux de leurs vieux gâteux, avaient été fonctionnaires de la Banque de France, sorte de charge quasi-royale transmise par la voix du sang et d’un népotisme assumé. Un accident de pédalo pour l’un et un diabète mal soigné pour l’autre avaient eu raison des parents d’Alice bien plus tôt que prévu. La charge harassante de ces serviteurs de la République les destinaient habituellement à rejoindre l’armée des retraités autant cacochymes qu’opulents que la France, exception hexagonale, entretenait avec une obstination qui forçait l’admiration.
Devenue orpheline, la jolie brunette de quatre ans n’avait eu qu’un étage à monter pour venir s’installer chez Mirabelle Corbières de Brizand, dite tante Mimi, gymnaste émérite et grande dévotieuse devant l’éternel.

À l’autre bout du monde, les parents d’Ulysse, la partie adverse si l’on peut dire, formaient un couple on ne peut plus singulier. Jules, le père, hormis l’art de la conversation et un sourire irrésistible, possédait celui de porter comme nul autre smoking et nœud papillon. Pour ces raisons, il était devenu le consul itinérant favori de son cher pays : le Canada.
À chaque mise à la retraite, nomination inopinée, décès ou mutation d’un de ses collègues, Jules Imbeault, valises faites, passeport et vaccins en règle, changeait de contrée, de mœurs et de nourriture en moins de temps qu’il en fallait pour requérir son assistance.
La mère du héros, pour sa part, profitait de cette errance pour se produire dans les théâtres et cabarets de la planète sous le nom de scène de Comtesse Galadrielle Desmarchand, « Exotic dancer with albino constrictor ».
La naissance d’Ulysse les avait comblés et le trio se voyait bien continuer à tourner autour du globe au moins jusqu’à la majorité de leur petit chéri.
Mais la vie n’est pas dénuée de contrariété, comme le destin d’une cruauté rigolote. Alors qu’Ulysse venait de fêter six ans, la madame la comtesse fut retrouvée, noyée, dans la piscine du « Rialto’Superb » de Pondichéry. Jules, tout en pleurant toutes les larmes de son corps, avait continué à s’occuper de Baobab, son boa constrictor, jusqu’à ce que le pauvre animal ne succombe d’un cancer de la peau. Puis, faute de larmes, Jules avait décidé de ch anger de vie. Il avait troqué son statut de diplomate contre celui de retraité-voyageur-excentrique, persistant cependant dans sa vocation d’exote savant et de vagabond de luxe, bien entendu toujours accompagné de son Ulysse chéri.

Si Alice et Ulysse avaient tous les deux grandit accompagnés par une bande musicale, ce n’était pas exactement la même.
Quand Jules et son fils hurlaient dans la voiture…
Papa was a rolling stone,
Wherever he laid his hat was his home.
And when he died, all he left us was alone.
Alice et Tantine entonnaient :
Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent,
Colchiques dans les prés, c’est la fin de l’été.
Ou bien, Alice assise à l’envers sur les genoux clopinant de Mirabelle :
Perdu dans le désert immen-en-en-ense,
L’infortuné bédouin, doin, doin, doin doin,
N’irait pas loin, loin, loin, loin, loin,
Halli ! Hallo ! Et vive le chameau, voyez comme il est beau !
Himalaya, Java, Calcutta, Sidiborina… à léa léa léa ! Oh ! Eh ! À léa !

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