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L’enfance de Mallock

Le dimanche de pâques lorsque toutes les cloches sonnaient, Mallock ouvrait ses fenêtres pour mieux les entendre. C’était le bruit de son enfance. Pas celle qu’il avait vécu avec ses parents, pas l’enfer, non, le paradis des années de lycée qu’il avait passées en Normandie, à St Aubin sur Mer avec son oncle. 

Aristote était un sage qui lui répétait souvent : « On devrait faire passer un examen pour autoriser les gens à avoir des enfants. On le fait bien pour leur permettre de prendre le volant. » Puis il rajoutait infailliblement : « C’est aussi facile d’apprendre à conduire,  que difficile de savoir se conduire avec des enfants » et il terminait par l’éternelle blague : «  d’où la famille de décapotable qui jouent dans mon garage». Aristide Mallock possédait une collection de voitures anciennes. Parmi elles, la Jaguar qu’Amédée continuait à conduire encore aujourd’hui. Seul héritier, il s’était retrouvé devant un dilemme : que faire de la collection d’Aristote ? Pendant quelques années, il avait tout gardé : les 12 voitures et la villa de St Aubin. Un jour, il avait fallu faire un choix. Comme il voulait conserver intacte la collection, il l’avait confiée à un musée près de Caen à la seule condition que soit apposée une plaque : « Collection d’Aristote Mallock ».

C’est à l’âge de dix ans qu’Amédée avait fait la découverte d’Aristote et de la Normandie. A Saint-Aubin, il s’était retrouvé cerné par quatre étendues. Au nord, la mer, merveilleuse, jade et laiteuse, et partout ailleurs, les grandes plaines piquées de blé et de coquelicots du Calvados. Sa passion pour les cloches avait commencé là-bas. Son père Ferdinand, après avoir échoué à rentabiliser ses propres terres situées entre Bayonne et Biarritz, s’était résolu à rejoindre son frère Aristide, qui lui avait réussi brillamment son exode en Normandie dix ans plus tôt. 

1966 avait été une année terrible. Sa mère avait tenté de se pendre. Heureusement, Amédée l’avait trouvé à temps. Marie, née Ferré le 29 février 1933 dans un petit port breton, avait promis qu’elle ne le ferait plus. Elle avait juré sur la Sainte Marie mère de Dieu. Quinze jours plus tard, le jour anniversaire de sa naissance, elle s’était mise une balle dans la tête. En fait, ce n’était pas exactement son anniversaire. Cette année-là n’était pas bissextile ! Elle n’en avait pas.

Choqué, Amédée était resté prostré. À bien y regarder, la tristesse et la perdition, les à quoi bon et les pourquoi moi, avaient bien failli avoir raison de sa bonne nature. C’est difficile de se tenir debout, de vouloir rester bien droit, quand il n’y a plus de sol sous ses pas.

Normalement, en campagne, dans les villages, les morts sont silencieuses. Ce sont des volets qui se ferment, des gazons que l’on ne tond plus et des fleurs qui se fanent, des massifs d’hortensia bleu qui repousse rose faute d’ardoise amoureusement pilée posée à leurs pieds. Le décès de sa mère, ce coup de feu, avait résonné cruellement dans les crânes de tous les paysans alentour. Chacun dans son coin tentait de cultiver sa terre, la tête penchée vers le sol, en évitant de penser à demain, à la banque et à la mort.  

Un mois plus tard, le dimanche de Pâque, les cloches des églises s’étaient mises à sonner, sonner comme jamais, sonner pour lui, pour lui signifier qu’il n’était pas seul, que les anges, les oiseaux et les chemins l’aimaient, qu’il fallait qu’il remonte sur sa bicyclette et parcoure de nouveau la campagne. La vie l’attendait. Certes, il porterait désormais en lui, la balle que sa mère venait de tirer. Mais ce n’était pas grave. Ce fragment de plomb ferait désormais parti de lui, comme ses doigts, ses espérances, ses yeux verts, les nuages qui dansent et son envie d’errance.

L’homme est sans défense, lui avait expliqué les cloches, et c’est de cette fragilité même que vient sa puissance. Depuis, elles étaient ses amies, et le dimanche de Pâque sa fête favorite.

Il y eut les cloches, et il y eut la mer. 

Amédée et elle se reconnurent immédiatement. Même douceur et même sale caractère. L’un et l’autre étaient tout autant caractériels que généreux, silencieux et plein d’histoires. Chaque soir, en revenant de son lycée par le car, Amédée allait directement sur la digue pour y raconter sa journée.

Les jours et les nuits passèrent ainsi. 

En convalescence au bord de la mer, Amédée se soigna, en tout cas, de la cicatrice maman. Puis son père sombra dans la folie. C’était en plein hiver, le soir de Noël pour être précis. Mallock dût attendre Pâques pour savoir si les cloches allaient parvenir à le ressortir de cette nouvelle épreuve. 

Et, encore une fois, belles, lumineuses et courageuses, elles furent là pour lui. 

Cet article a 2 commentaires

  1. Valerie Mercier

    Merci… Le manque de Mallock se fait encore plus sentir !

    1. Amédée Mallock

      Il arrive, il arrive !!! ^^

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