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Mallock, Aristote et les Beatles !

Sa passion avait vraiment commencé en 1966, à quinze ans. Mallock vivait alors à une heure de Caen avec ses parents. Ils louaient des terres appartenant à son oncle et frère d’André-Ferdinand, le père d’Amédée.

Né dans le Béarn en 1930, ce dernier vivait sa vie comme une épreuve, un parcours du combattant dont il se savait déjà perdant. Chaque jour, il se levait battu, chaque soir, il s’endormait courbatu. Après avoir échoué à rentabiliser ses propres terres dans le Béarn, il avait rejoint son frère Aristide Mallock, dis Aristote, en Normandie où ce dernier, par contre, avait plus que réussi puisqu’il y avait fait fortune. 

À sept ans Amédée avait découvert, du Cavados, l’intérieur des terres. Ni mer, ni montagne, parfois des bocages charmants, sinon de grandes plaines confusantes. Certes, de fastueux couchers de soleils barbouillaient le ciel. Mais, ils étaient trop beaux, trop outrés, au point qu’ils en devenaient vulgaires. 

En 1966, Amédée reçut deux coups de revolver. Le premier fut tiré par sa mère. Elle avait essayé de se noyer puis de se pendre. Amédée l’avait trouvé à temps et l’avait retenu en attendant que Dieu ou quelqu’un vienne à sa rescousse. Elle avait promis juré par tous les saints et sur la tête de son fils qu’elle ne le ferait plus. Quinze jours plus tard, elle s’était fait sauté le crâne avec le vieux revolver d’ordonnance du grand-père.

C’est dans cette morosité morbide et dramatique, que le second coup de revolver fut donné. 

Pour les quinze ans d’Amédée, le 14 juin, Aristote était venu déjeuner. Il avait apporté deux choses : un pick-up Grundig et un disque de musique moderne pour son Amédée de neveu. La couverture était un curieux montage de photos et de dessins. Le groupe de musiciens s’appelait les Beatles, et l’album : Revolver ! Que dire de ces musiques ? Qu’elles déchirèrent les rideaux opaques et poussiéreux de l’enfance ? Qu’elles ouvrirent des chambres de miroirs et de pluie ? Disons, qu’elles réveillèrent Amédée, embourbé dans les tourbières normandes de son adolescence. L’essence des sons, le sens des vibrations, tout, de la matité brutale de la grosse caisse à la tonitruante acidité des cuivres, tout disait la vie.

Trois mois après la mort de Marie Mallock, le père d’Amédée fut interné. La tristesse et la perdition, les à-quoi-bons et les pourquoi-moi, faillirent bien avoir raison de la bonne nature d’Amédée. Aristote, en bon misanthrope, accueillit l’orphelin chez lui à Saint Aubin. Bouleversé et perdu, Amédée fit bonne figure. L’orgueil sans doute, mais aussi, la volonté de ne pas peser sur l’autre, garder ses fardeaux pour soi. Une sorte de pudeur, et une fierté inébranlable, dont il ne se départirait jamais.

Et puis là-bas, c’est qu’y avait la mer ! Elle et lui se reconnurent immédiatement. Même douceur et même caractère soupe au lait. L’un et l’autre, imprévisibles mais généreux. Chaque soir, en revenant de son lycée par le car de Caen, il allait directement sur la digue pour dialoguer sa journée aux vagues. Elles étaient aussi bavardes que lui.

Fin juin, pour fêter la fin de l’année scolaire, qu’Amédée avait réussit brillamment, tableau d’honneur et facilitations, Aristote ramena de Londres, où il avait été passé une semaine, une sorte de soleil, un truc coloré et éblouissant : « Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band ».

Le nouvel album des Beatles était une sorte de gigantesque coup de gong mondial, exhortant le Monde à se réveiller et à chanter, à regarder la beauté et la brillance des choses, à redécouvrir, après vingt années de gris, les couleurs. Paul en avait eu l’idée, la vision, et il avait entrainé John puis Georges puis le monde entier derrière lui. Mallock, au moins, lui en serait éternellement reconnaissant.

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